PATTON ET LA LIBERATION

LA LIBERATION DE LA FRANCE
Le 1er août 1944, le XIIème groupe devient opérationnel. Depuis D-Day (6 juin 1944), l'ensemble des forces terrestres était resté sous l'autorité de Montgomery. Mais l'augmentation croissante des forces américaines imposait qu'un nouveau groupe d'armée soit créé, sous commandement américain - ce qui avait été décidé préalablement au débarquement. Le nouveau groupe serait placé sous le commandement de Bradley, laissant sa place à Hodge pour commander la première armée. Patton se voyait confié la IIIème armée. Les ordres sont simples, Bradley ordonne à Patton de foncer vers le sud, direction Rennes avant de tourner vers l'ouest pour prendre Saint-Malo, Brest... L’objectif était de construire de nouvelles installations portuaires gigantesques. Einsenhower quant à lui avait comme plan de prendre les villes et ports du Havre à Nantes afin de disposer d'une ligne arrière solide, sur laquelle les alliés pourraient s'appuyer pour alimenter l'Europe en hommes et en matériels. Patton, toujours aussi fonceur, avait vu une autre possibilité, celle de prendre Rennes et le Sud de la Bretagne pour enfermer les Allemands. Il se retournerait ensuite vers l'est et foncerait vers les plaines de la Seine. 



Il dispose alors du VIIIème corps commandé par le général Middleton. Il est composé des 4ème et 6ème divisions blindées sous l’ordre des généraux Wood et Grow. Ces derniers sont eux aussi issus de la cavalerie, comme Patton - autant dire que les tempéraments sont identiques. Patton dispose aussi, en tant que commandant de la IIIème armée, des XVème et XXème corps des généraux Haislip et Walker. La fameuse 2ème DB française fait partie du XVème corps avec les 79ème et 90ème divisions mécanisées ainsi que de la 5ème DB américaine. Le XXème corps de Walker est orienté en direction de Chartres. Le XVème vers Laval et Le Mans. Plus tard, le XIIème corps de Cook viendra compléter le dispositif de Patton. Les Allemands sont assez surpris de voir qu'un seul corps d'armée peut occuper toute la Bretagne, alors que 3 autres se retournent vers eux pour une offensive vers l'est, en direction de la Seine.

Utilisant la brèche entre Avranches et Pontaubault, Patton lance très vite ses unités vers le sud. En moins de 3 jours, 7 divisions défilent sur une route unique. Son avant-garde est composée de la 4ème DB. Wood fonce sur Rennes, qu'il prendra le 4 août 1944. Vannes suit le lendemain. La 4ème DB se dirige ensuite sur Lorient. Pour Patton la Bretagne devient alors secondaire ; il veut se retourner vers l'est afin de bousculer les Allemands. Bradley pense d'ailleurs comme lui. En effet, dés le 15 août, la 4ème DB est ramenée vers l'est. C'est Grow et sa 6ème DB qui vont se charger de prendre le reste de la Bretagne (Saint-Malo, Dinan et Brest le 18 septembre, puis siègedevantLorient).

Les 79ème et 90ème divisions du XVème corps de Haislip viennent se placer entre le VIIème corps et le VIIIème. La mission du patron du XVème corps est d'élargir le couloir d'Avranches - il doit protéger le passage entre la Bretagne et la Normandie. Patton a prévenu son adjoint, il ne devra s'étonner d'aucun ordre de son supérieur. Patton lui a laissé entendre qu'il pourrait faire appel à lui vers le nord et nord-est. Les premiers objectifs du XVème corps sont Laval et Mayenne, but atteint le 5 août. Le prochain est Le Mans : le 9 août c'est fait. Les deux divisions d'Haislip entrent dans Le Mans et la libèrent.

Pendant ce temps, le XXème corps est loin d'être inactif. Walker pousse vers le sud : la Loire. Les Allemands de la VIIème armée et de la Vème Armée de Panzer sont en très mauvaise posture. Au nord, les Anglo-Canadiens et au sud-est, Patton qui commence à frapper à la porte pour forcer le passage. Depuis l'échec de la contre-offensive allemande de Mortain, l'Etat Major allié est persuadé qu'il peut anéantir les Allemands engagés en Normandie. Les conditions semblent réunies avec la position avancée de la IIIème armée US. Les Anglais et les Canadiens attaqueront vers Falaise, pendant que les Américains fonceront vers le sud. L'étau se referme sur les positions allemandes.




Le 8 août 1944, les Canadiens du général Crerar attaquent en direction de Falaise avec la 4ème DB et la division polonaise. Mais la route en direction de Falaise reste bloquée malgré les interventions quasi incessantes de la VIIIème US Air Force. Haislip a divisé son XVème corps en deux branches. D'un côté, la 5ème DB et la 79ème DI à l'est, de l'autre la 2ème DB française et la 90ème DI à l'ouest en direction d'Alençon. Leclerc atteint cette ville le 13 août, puis Argentan. Mais la jonction entre Canadiens et Américains n'avait pas encore eu lieu - il manquait plus de 30 kilomètres. Les Canadiens n'avançaient pas assez vite aux yeux de Patton. Monty espérait pourtant que ses unités pourraient rejoindre les Américains à Argentan. Mais Patton ne put dépasser Argentan. S'il l'avait fait cela aurait pu diminuer l'écart entre Anglais et Américains et enfermer les Allemands, mais Monty fit pression pour que Bradley fasse rentrer Patton dans le rang. Celui-ci reçut l'ordre formel de ne pas dépasser Argentan.


Prisonniers allemands descendants vers les plages, l'avance de Patton les à surpris et bousculés.

Vers midi le 13 août, Haislip reçut l'ordre de stopper tout mouvement vers l'Est et de ne pas dépasser Argentan. Il rappela toutes ces unités engagées vers Falaise. Monty avait vu rouge. Patton écrivit plus tard que cette halte fut une grave erreur. Il doutait que les britanniques puissent rentrer dans Falaise, alors qu'il était convaincu que ses troupes pouvaient le faire plus rapidement. La décision fut lourde de conséquences, car elle permit aux Allemands d'évacuer la poche de Falaise et de se replier vers l'est. Afin de ne pas froisser, encore, les Britanniques et plus précisèment Montgomery, Bradley avait pris ses responsabilités, ce qui lui fût reproché après la guerre. Mais Einsenhower qui commandait Patton, Bradley et Monty aurait put trancher pour Patton, ce qui aurait permis une complète défaite allemande et peut être de réduire la durée de la guerre.


A la mi-août, quinze jours après l'engagement de son armée, il a donc aligné ses trois corps sur une ligne Dreux-Chartres-Orléans. Il les lance alors en plein vers l'est sur des itinéraires aboutissant à Paris, Fontainebleau et Montargis. Le 19 août, le XVème C.A. d'Haislip est sur la Seine à Mantes, tandis que la 2ème D.B. (Leclerc) se détache pour soutenir la population parisienne soulevée contre la garnison allemande. Patton est contraint de faire glisser le XVème C.A. sous la capitale, mais s'il n'a pas la gloire d'en être personnellement le libérateur, du moins toute l'Ile-de-France lui doit-elle sa libération. Le 21 août, Walton Walker atteint Melun et Fontainebleau. Alors que le 16 août le XIIème C.A. a libéré Orléans, le 21 il est à Sens et le 26 à Troyes. Paris vient à peine de se libérer! Cette charge remarquable du XIIème C.A. inquiète son chef dont l'aile droite se trouve à découvert le long et au-delà de la Loire. Il demande à Patton s'il doit se préoccuper de son flanc droit ; réponse de celui-ci : " Cela dépend de l'état de vos nerfs ". Patton ne ralentit pas son allure : il voudrait pousser Haislip vers Beauvais pour tenter un nouvel encerclement, mais Bradley qui coiffe désormais le 12ème Groupe d'Armées américain (ayant laissé le commandement de sa 1re Armée à Courtney Hodges comme convenu) a fixé les grands axes d'efforts : Hodges, franchissant la Seine au Sud de Paris, s'avancera vers le nord de la France et la Belgique intérieure, Patton marchera sur Metz et Sarrebruck.


Depuis le 15 août, la 7ème Armée (l'ancienne de Patton, commandée à présent par Patch) a débarqué en Provence avec le Détachement d'Armée du général de Lattre de Tassigny. Ils ont pour objectif la vallée du Rhône, puis le Rhin de Haute-Alsace. C'est alors qu'une grave crise logistique s'abat sur le front occidental : la ruée anglo-américaine après la percée de Normandie a été telle que le ravitaillement n'a pas suivi, en particulier l'approvisionnement en carburant. Les colonnes blindées ou mécanisées doivent s'arrêter à bout de souffle. Ce n'est pas tant le carburant qui fait défaut que les moyens efficaces de l'apporter aux unités déjà bien en avant vers les Vosges et la Meuse. Bien pis, Eisenhower semble favoriser les Britanniques, qui remontent le long de la Manche vers la Belgique maritime et les Pays-Bas, au détriment des unités de  Patton. Celui-ci entre dans une fureur noire. Lorsque le 1er septembre Montgomery est nommé field-marshall, Patton en est vraiment ulcéré, de même que Bradley.


Une nouvelle phase s'ouvre dans la marche au Rhin. Le temps que les armées se réorganisent et se rempiètent, les Alliés ne repartiront à l'attaque qu'au début de novembre. Septembre voit tout de même le XIIème C.A. s'emparer de Nancy, le XVème C.A. d'Epinal et le XXème, plus au nord, border la Moselle en amont de Metz. Mais finalement, il faut marquer le pas. Patton en profite pour rendre visite aux lieux qu'il avait connus en 1917-18 : Chaumont, Langres, Bourg. Vers la fin de septembre, une alerte devant Nancy lui offre l'occasion de montrer son flegme en face d'une situation critique (une contre-attaque allemande menace d'enfoncer la 35ème D.I.) et sa capacité à reprendre en mains les chefs et les troupes en difficultés. Après avoir apostrophé en termes choisis les généraux Eddy, Grow et Baade (de la 35ème D.I.), il leur impose son idée de manoeuvre, les oblige à gagner la partie, et les décore à l'issue de la bataille. C'est l'affaire de Nancy, du 29 septembre au 4 octobre. Pendant ce temps, Walker entame la réduction des forts entourant Metz mais la résistance se révèle plus forte que prévu. Les combats dureront un mois.


Au début de novembre la IIIème  Armée connaît son axe d'offensive : Metz, la Sarre où elle doit franchir la ligne Siegfried, Worms et Mayence sur le Rhin, et au delà, Francfort-sur-le-Main et Cassel. Le 8, c'est l'offensive, en dépit de pluies diluviennes et des crues conséquentes de tous les cours d'eau lorrains. Le XIIème C.A. enlève Château-Salin puis Morhange (15 novembre). Le XXème C.A., avec trois divisions d'infanterie, investit Metz, puis s'empare de la ville après de pénibles combats de rues (13-15 novembre), tout en réduisant les forts (le dernier capitulera le 13 décembre). Le 26 novembre, Patton accueille Giraud dans Metz libérée : ces deux hommes aux personnalités si différentes, se rencontraient pour la troisième fois dans des circonstances originales. Nous ne parlerons plus du XVème C.A. d'Haislip, ni de la division Leclerc ; ils ont été transférés dans la VIIème Armée qui vient de parvenir à la bordure occidentale des Vosges. Patton est furieux, une fois de plus ; il a perdu très tôt le VIIIème  C.A. transféré à la 1re Armée, et voilà qu'un autre corps lui fait défaut. À cela s'ajoute une grave crise d'effectifs ; les remplacements ne s'effectuent pas, aussi Patton verse-t-il dans les divisions d'infanterie le personnel des états-majors et des services. Il n'en parvient pas moins sur la Sarre à la mi-décembre et va s'attaquer à la ligne Siegfried. Il songe à avancer son P.C. de Nancy sur Saint-Avold, dès lors que ses divisions de tête sont déjà à Sarrelouis et à Merzig, en territoire sarrois. Le déplacement est prévu pour le 19 décembre ; il ne pourra pas avoir lieu. La fameuse contre-offensive des Ardennes débouche le 16 décembre, par un temps couvert et glacial, surprenant les unités du VIIIème C.A. et provoquant la rupture du dispositif allié.


Déjouant la surveillance des services de renseignements alliés et les analyses du G-2 d'Eisenhower, le général anglais Strong, et profitant des conditions météorologiques médiocres du début de décembre, Hitler lance trois armées blindées à travers les Ardennes le 16 décembre 1944. Les trois divisions d'infanterie du VIIIe C.A. américain (toujours sous les ordres de Middleton) tiennent plus de cent kilomètres de front ; l'une d'elles, la 106ème, vient tout juste d'arriver d'Angleterre, étalant sur trente-cinq kilomètres sept bataillons sans expérience du combat. La surprise, autant stratégique que tactique, est totale : le VIIIème C.A. s'effondre, se disloque et recule de vingt-cinq kilomètres en trois jours. La 6ème Armée blindée S.S. et la 5ème Panzerarmee, reconstituée depuis les combats de Normandie, filent vers la Meuse de Namur et de Liège. Heureusement, les flancs de la poche, le Bulge, résistent en cédant pas à pas à la pression de l'ennemi. Le dispositif occidental allié menace d'être coupé en deux : Montgomery rejeté vers le nord et Bradley, enfoncé au centre, repoussé vers le sud.


Patton est averti de la percée allemande dès le soir du 16 décembre, lorsque Bradley lui demande de prélever la 4ème D.B. sur le corps d'armée de Walker et de l'envoyer sans retard vers le VIIIème C.A. Tout en renâclant, car la situation ne lui apparaît pas encore clairement, Patton met en mouvement cette grande unité. Le 18 au matin, convoqué à Luxembourg avec ses officiers d'état-major, il propose à Bradley de déplacer une partie de sa 3ème Armée face au nord, pour étayer le sud de la poche et lancer une contre-attaque sur le flanc de la 7ème Armée allemande. Le chef d'état-major de Patton, le général Gay, prépare déjà les mouvements de la 4ème D.B. (Gaffey) déjà arrivée à Longwy, de la 80ème D.I. (Mac Bride) encore à Thionville, et de la 26ème D.I. (W.S. Paul). L'état-major du IIIe C.A. (Millikin) venait d'être entraîné en vue de l'offensive sur la Sarre : c'est lui qui va coiffer l'engagement de ces trois divisions sur leur nouvel axe. La grande difficulté tient en ce que leurs itinéraires vont cisailler les axes ouest-est par lesquels les XIIème et XXème C.A. sont ravitaillés. Simultanément, ces deux derniers corps doivent glisser vers le nord, pour serrer sur les bords de la poche, tandis que la VIIème Armée (Patch) doit étendre son aile gauche pour tenir les anciennes lignes de Walker.


C'est à Verdun, le 19 au matin, au Grand Quartier Général d'Eisenhower que se tient la réunion au cours de laquelle se décide la manoeuvre qui doit arrêter la poussée allemande. Ike demande à  Patton à quel moment il pourra attaquer. Patton lui répond sans hésitation : " Dans trois jours, le 22 décembre, avec mes trois divisions ". Dans son journal, Patton ajoute : " certains parurent surpris, d'autres enchantés ". Cette manœuvre et ces délais extrêmement courts sont un défi au temps et à l'espace : mise en place des unités à plus de cent kilomètres de leur zone d'attente, ravitaillement et munitions à faire suivre, création de dépôts hors des zones initialement prévues, élaboration et diffusion des ordres dans un laps de temps considérablement réduit, divisions recomplétées au maximum de leurs effectifs et de leur matériel pour leur donner le plus grand nombre de chances dans l'attaque, etc. De Nancy, l'état-major de la IIIème Armée accomplit un travail remarquable, et, sous l'impulsion de Patton, réussit le déplacement de la IIIe Armée, de l'est vers le nord. Ainsi, le 10ème R.I.US (5ème D.I.) parcourt en une nuit le trajet Sarreguemines-Arlon, par cent kilomètres de routes secondaires. La 90ème D.I., engagée à Dillingen dans la Sarre, est déplacée en deux jours sur plus de soixante-quinze kilomètres sans un seul accident de personnel ou de véhicule. Cette activité intense ouvre une période de six semaines pendant lesquelles se produiront quarante-deux mouvements de divisions de cent kilomètres chacun, en moyenne. Cette brillante performance est, à grande échelle, la même manoeuvre réalisée en avril 1943 en Tunisie, lorsque le IIème C.A.US est passée de la région de Tébessa au sud, au secteur de Béja-Cap Serrat tout au nord. Patton avait conservé sa fidèle équipe d'état-major à travers les vicissitudes siciliennes et ceux qui déplacent trois corps d'armée en 1944 sont les mêmes qui mettaient en route trois divisions deux ans auparavant, mais cette fois ils le font trois fois plus vite.


Cette brillante manœuvre logistique a un objectif opérationnel. En premier lieu dégager Bastogne, carrefour de l'Ardenne belge, tenue par la 101ème Division aéroportée (Mac-Auliffe) qui est cernée par la 26ème Panzergrenadiere. C'est la mission de la 4ème D.B., qui rejoint le 26 décembre les parachutistes encerclés, tout en résistant aux tentatives désespérées du XLVIIe C.A. allemand pour enlever la ville jusqu'au 9 janvier 1945. Simultanément, sur la droite de la 4ème D.B., débouchent les 26ème et 80ème en direction de Houffalize, au centre même de la poche, dont elles grignotent les bords. La 7ème Armée allemande (Brandenberger), assommée par l'intervention ininterrompue de l'aviation alliée (le vif soleil d'hiver a réapparu) se met sur la défensive ; les Panzerdivisionen ont perdu la quasi-totalité de leurs blindés. Pis encore, il n'y a plus de carburant chez les Allemands. La grande offensive des Ardennes se termine par un échec, prévisible dès lors que le beau temps et la logistique interviennent en faveur des Alliés. Le 16 janvier, les éléments de tête de la 1re D.B. entrent à Houffalize, où les rejoint peu après la 2ème D.B. de la 1re Armée, qui a attaqué du nord. Durant les quinze jours suivants, les Allemands sont refoulés sur la ligne de l'Our et de la Rier. La bataille des Ardennes est terminée ; Patton est très flatté lorsqu'il apprend qu'Eisenhower a dit de lui à un officier de la IIIème Armée : " Savez-vous que George est réellement un très grand soldat ". La presse américaine a bien compris le rôle de  Patton dans cette bataille puisqu'il apparaît, pour la seconde fois, sur la couverture de " Life ", le 15 janvier 1945.